Comment vivent-ils les cours à distance : la parole aux enseignants de Centrale Marseille
9 semaines se sont écoulées depuis que les enseignements de Centrale Marseille se déroulent à distance. L’annonce est tombée soudainement, le 16 mars. Jetons un œil dans le rétroviseur et observons comment 1000 élèves ainsi que l’ensemble des personnels ont pris le virage du numérique en un temps quasi-instantané. Les enseignants racontent…
4 jours à grand renfort de partage et d’entraide
4 jours entre l’annonce du Président de la République et la fermeture de l’établissement. C’est peu. Et pourtant ce fameux lundi de reprise, « nous étions prêts à faire au mieux. Le Moodle accueillait 95% des cours » raconte l’ingénieur pédagogique de l’École. Pendant ce creux de 4 jours, un forum est créé permettant aux enseignants d’échanger, les canaux de communication sont centralisés autour d’une seule plateforme pour éviter l’éparpillement de l’information et une série de tutoriels voit le jour.
Grâce au travail remarquable des enseignants et des services, les premiers cours se développent au pied levé dans une ambiance solidaire : « rapidement on a commencé à avoir une petite communauté d’entraide », « la propension à aider existait déjà, mais finalement on se sollicite peut-être moins les uns les autres habituellement. Je pense qu’il en restera quelque chose après le confinement ». Côté élèves aussi, la démarche est encore plus constructive qu’à l’accoutumée. « Ils nous font des retours, suggèrent des outils, des méthodes. Ils font preuve de bienveillance ».
L’enseignement distanciel conduit à revoir intégralement la façon de faire cours
Le corps professoral s’accorde à dire que le téléenseignement a sa propre grammaire, son propre espace-temps. Pour faire passer des connaissances, des « learning outcomes » comme on dit et vérifier que c’est bien acquis depuis un ordinateur, il faut anticiper de nombreux éléments. D’autant plus qu’en temps réel, l’ajustement est plus délicat. « Je structure davantage mes cours », « je choisis différemment mes exercices », « je suis encore plus précise sur les attentes et les consignes », « j’ai sonorisé toutes mes présentations pour combiner mémoire auditive et visuelle ». Cet investissement invisible augmente considérablement le temps de préparation en amont.
La technique : moteur de progrès, d’innovations, mais aussi d’inégalités à considérer avec précautions
Par chance l’École n’est pas néophyte dans la pédagogie en ligne et possède des ressources tant humaines que numériques. « Avec le seul cours de Chimie / Génie des procédés, notre banque en ligne rassemble près de 800 exercices sur Moodle ». Toujours est-il qu’une variable technique est inéluctable : le réseau. Avec le télétravail généralisé, il faut d’autant plus se le partager entre les membres d’un même foyer. « Tu peux imaginer n’importe quelle techno superbe, si tu n’as pas une bonne qualité de réseau montante et descendante, le résultat sera mauvais. Typiquement je suis dans l’incapacité de faire du streaming vidéo ». Les étudiants se doivent aussi d’être bien installés et même si la fracture numérique ne semble plus de même nature qu’il y a 20 ans, il est indispensable de rester vigilant aux inégalités d’équipement ou de connexion. En ce sens, les cours asynchrones ont l’avantage de pouvoir être vus et revus. Mais quid de l’interaction, ingrédient indispensable à la transmission ?
Créer de la proximité à distance, le vœu des élèves comme des enseignants
Avez-vous déjà passé 4h à écouter un cours devant un écran ? Indépendamment de la performance de l’orateur, l’exercice est épuisant. Les étudiants le font remonter et de l’autre côté de la webcam, ils sentent bien que la concentration est détériorée. « J’ai l’impression que je répète plus qu’en temps normal » confie une enseignante. La formation Passerelle Numérique de l’École décide de prolonger les cours jusqu’à fin juin au lieu de fin mai pour corriger cet effet. Pour le cursus ingénieur.e les périodes de stage paramètrent la séquence académique, aussi les enseignants redoublent d’efforts pour donner une place aux échanges, si humains, qui font la beauté du métier. « À titre personnel, à chaque fois qu’une interaction est possible, j’en ressors avec plus d’énergie et de motivation aussi ». Le bilan c’est bien sûr, qu’il faut du contact, soit visuel soit audio et si possible les deux. « On a utilisé Aww App pour avoir un tableau blanc interactif en temps réel combiné avec un serveur vocal »,« j’ai demandé aux élèves directement ce qu’ils préféraient, ils ont mis en place une consultation Klaxoon pour finalement adopter une solution de visio qui n’était pas celle que j’avais envisagée initialement. Et ça a très bien marché ! ».
La curiosité, la plus belle des convoitises
À l’unanimité, les enseignants interrogés ne pensent pas que les écrans se substitueront complètement au traditionnel face-à-face, la relation est différente, la manière d’enseigner aussi. Pour autant cette précieuse période d’expérimentation dessine de nouveaux projets, des envies de transmettre autrement. « C’est bénéfique de se voir faire cours, ça amène une introspection, on questionne nos postures, nos verbiages ». Certains enseignants ont remarqué « plus d’autocorrections de la promotion. Sur Zoom, des élèves quasiment inexistants en classe se sont révélés en ligne » d’autres souhaitent s’enregistrer systématiquement pour que les absents puissent rattraper plus facilement. Ils pensent particulièrement aux étudiants étrangers, pour qui le fait de pouvoir s’arrêter, réécouter, représente un réel atout pédagogique.
Le Financial Times soulignait d’ailleurs récemment que la croissance des effectifs MBA provient désormais davantage des versions en ligne que présentielles (lorsque les deux formats sont proposés).
Faire du savoir une joie qui dépasse les contextes
Le télétravail comme le téléenseignement a des potentialités et pour certains, il a tissé de nouveaux liens, « une preuve, c’est l’heure à laquelle ils peuvent nous envoyer des messages ». En revanche, lorsqu’il s’installe dans la durée, l’éloignement social se fait ressentir et ils sont nombreux et nombreuses à attendre des jours ouverts et à conclure par un « il me tarde de retrouver les étudiants ».
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